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Par Hélène Ollivierprofesseure à PSE et chargée de recherche au CNRS.

La commission Ambec, composée de dix spécialistes scientifiques et chargée d’éclairer le débat public sur les impacts en termes de développement durable de l’accord commercial entre l’Union Européenne (UE) et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), a remis son rapport au Premier ministre le 18 septembre dernier (1). Hélène Ollivier, membre de cette commission, revient sur leurs principales recommandations.

UN ACCORD « À L’ANCIENNE »
La Commission Ambec n’a pas formulé d’avis sur le fait de ratifier ou non cet accord commercial ; là n’était pas son rôle. Il nous a été demandé de mettre en lumière les principaux impacts en termes de développement durable de cet accord et de donner des orientations pour les prochains accords commerciaux que l’UE négociera. L’accord UE-Mercosur est le résultat de vingt années de négociations, et même s’il fait partie des accords commerciaux dits de « nouvelle génération », – à titre d’exemple, il fait référence à l’Accord de Paris sur le changement climatique – nous concluons qu’il représente globalement une occasion manquée à bien des niveaux. En effet, cet accord aurait pu marquer la transition entre des accords strictement commerciaux – où barrières tarifaires et non tarifaires sont négociées ligne par ligne entre les parties – à des accords nouveaux faisant un lien entre la politique commerciale et la politique environnementale de chacune des parties. Or ce n’est pas le cas : cet accord fait irrémédiablement partie des accords « à l’ancienne ».

Les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ont jusqu’ici été interprétées de telle sorte qu’un tel lien entre politique commerciale et politique environnementale semblait impossible. Pourtant, deux arguments portés notamment par les économistes de l’environnement montrent que ce lien est nécessaire, et qu’il pourrait être rendu possible en faisant évoluer nos institutions.

LE PENDANT COMMERCIAL DES POLITIQUES ENVIRONNEMENTALES UNILATÉRALES
Le premier argument se concentre sur la politique environnementale et montre que celle-ci ne peut être pensée sans un pendant commercial. Au sein de l’UE, nous avons adopté une politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui prend la forme d’un marché de permis pour le carbone émis pendant la production : il s’agit du système d’échange de quotas d’émissions. Cette politique est unilatérale puisqu’elle a été décidée par l’UE seule, alors que les autres pays signataires ou non du protocole de Kyoto n’ont pas pris de mesures politiques équivalentes. Or les gaz à effet de serre émis en Asie ou en Amérique ont le même impact sur le changement climatique que ceux émis en Europe. Limiter les émissions dans l’UE ne peut alors s’avérer utile que dans la mesure où les autres pays se joindront à cet effort dans un futur proche. De plus, il peut y avoir des effets rebonds : si la baisse de demande européenne en énergie fossile provoque une chute des prix, le reste du monde pourrait se mettre à en consommer plus et donc à polluer plus qu’en l’absence de politique de permis d’émissions. Enfin, la compétitivité des entreprises européennes pourrait pâtir des contraintes environnementales imposées par le marché de quotas d’émissions, et les consommateurs européens pourraient se mettre à importer plus de produits étrangers responsables de plus fortes émissions de carbone. Pour que cette politique environnementale européenne permette réellement de réduire les émissions de carbone à l’échelle globale, il est nécessaire de s’interroger sur nos échanges commerciaux.

De nombreuses discussions au sein de la Commission portent sur l’adoption d’ajustement aux frontières, c’est-à-dire sur la possibilité de taxer les biens importés en fonction des émissions qui ont été émises pendant leur production afin de rétablir un traitement identique entre les biens produits en Europe et ceux venus de l’extérieur. Il est cependant extrêmement difficile de connaitre les émissions qui sont liées à la production d’un bien, surtout si l’on ne connait pas la manière dont il a été produit. Les accords commerciaux peuvent éventuellement apporter une solution dans ce contexte car ils permettent de mettre des conditions sur les modes de production des produits importés – par exemple, bœuf élevé sans hormone ou bœuf ayant reçu une finition à l’herbe – et forcer les exportateurs à créer des filières spécialisées dédiées aux marchés d’exportation qui les imposent. Dans le cas des pays du Mercosur où les émissions de gaz à effet de serre sont essentiellement générées par la déforestation, il serait alors possible de conditionner nos importations à l’existence de filières de production de viande de bœuf et de soja qui, par exemple, seraient certifiées comme n’ayant eu aucun impact sur la forêt amazonienne et le Cerrado.

L’ENGAGEMENT ENVIRONNEMENTAL COMME CONDITION DANS LES ACCORDS COMMERCIAUX
Le second argument pour lier politique environnementale et politique commerciale provient du constat que les négociations internationales sur le changement climatique n’aboutissent pas à des actions ou engagements réels de réduction des émissions de gaz à effet de serre car il n’existe ni moyen de pression ni sanction pour les encourager. En effet, si les pays refusant de faire le moindre effort pour réduire leurs émissions peuvent continuer à échanger librement, alors aucun argument logique ne pourra les convaincre de participer à cet effort. De nombreux économistes de l’environnement plaident ainsi pour une utilisation des accords commerciaux comme potentiel moyen de pression.

Si nous décidons de n’octroyer des avantages commerciaux qu’aux pays qui respectent des engagements forts en termes de réductions des émissions de carbone, nous pouvons espérer être rejoints par d’autres pays pour qui l’intérêt à échanger de manière préférentielle justifie la participation active à la réduction des émissions. De plus, si un pays ayant pris des engagements climatiques ne les respecte pas, il est possible de le sanctionner en augmentant les droits de douane – temporairement ou définitivement – sur les importations en provenance de ce pays. Puisque le changement climatique est un problème global nécessitant la coordination des politiques environnementales de tous les pays, il est urgent de pallier le manque de juridiction internationale en utilisant la politique commerciale à cette fin. Le fait que le Président Macron ait conditionné la signature de la France de cet accord au respect des engagements pris au sein l’Accord de Paris, notamment par le Brésil, peut être mis en lien avec ce second argument.

Au vu des ambitions affichées par la nouvelle Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, notamment autour du pacte vert pour l’Europe et de l’importance des enjeux climatiques, il est envisageable que les prochains accords commerciaux établissent un lien étroit avec la politique environnementale de l’UE.

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Références :
(1) Rapport de la commission d’évaluation du projet d’accord UE Mercosur