Luis Becerra-Valbuena et Katrin Millock*
- Cet article a été initialement publié dans l’édition de mai 2021 des 5 articles…en 5 minutes.
Dans les pays pauvres dont les populations sont grandement tributaires de l’agriculture, les événements climatiques extrêmes peuvent avoir de graves conséquences. En l’absence de filets de sécurité ou d’autres mécanismes de transfert, le mariage des filles mineures peut être utilisé comme stratégie d’adaptation par les familles pauvres. Une littérature naissante en économie du développement a étudié comment différentes institutions matrimoniales, notamment la dot et la valeur d’échange de la mariée, modifient les réponses aux chocs climatiques par la modulation du calendrier des mariages et en particulier l’incidence des mariages d’enfants (1).
Dans cet article, Luis Becerra-Valbuena et Katrin Millock réalisent une étude longitudinale rétrospective en s’appuyant sur les données des Living Standards Measurement Study-Integrated Surveys of Agriculture (Étude sur la mesure des niveaux de vie – enquêtes intégrées sur l’agriculture, LSMS-ISA) du Malawi sur la période 2000 à 2016, en y associant les indices météorologiques de sécheresse. Il faut noter que le Malawi a connu plusieurs épisodes de sécheresse au cours de cette période. A l’aide d’un cadre quasi expérimental, les auteurs comparent des individus de groupes d’âge similaires qui migrent au cours de la même année, certains provenant de districts souffrant de sécheresse et d’autres de districts épargnés. Au Malawi, la tradition locale veut que les hommes, conformément aux rites de la patrilocalité, s’acquittent de la valeur d’échange de la mariée auprès de leur future belle-famille, et que la mariée s’installe dans la famille du marié. Compte tenu de ce contexte, les auteurs testent l’hypothèse selon laquelle une sécheresse pourrait conduire à une augmentation des mariages d’enfants. Les auteurs s’appuient sur les motivations migratoires déclarées par les migrants pour analyser les schémas migratoires des femmes et des hommes suite à la sécheresse. Au Malawi, les femmes migrent pour se marier principalement dans leur district d’origine. Or, si la sécheresse affecte l’ensemble de ce district, il se peut également qu’il y ait moins d’hommes capables de s’acquitter du prix d’échange pour la mariée. A la suite d’une sécheresse modérée, les auteurs observent une légère diminution de la probabilité de migration motivée par le mariage dans le même district pour les filles âgées de 10 à 17 ans, ce qui semblerait refléter l’effet de l’abaissement de « l’offre » sur le marché du mariage. Cette explication est également confortée par le fait que la migration inter-districts liée au mariage dans la même catégorie d’âge ne varie pas significativement après un épisode de sécheresse.
D’une part, les auteurs n’observent pas d’augmentation notable de la migration motivée par le mariage suite à une sécheresse pour les filles âgées de 10 à 17 ans. D’autre part, ils constatent que les migrations entre districts liées au travail augmentent après une grave sécheresse, dans une plus large mesure pour les garçons, mais aussi pour les filles. Puisque la migration liée au mariage n’est pas toujours expressément déclarée, en particulier pour les filles mineures, les auteurs associent également les motifs déclarés de la migration pour le mariage et pour le travail. La combinaison de ces deux motivations permet aux auteurs de constater une augmentation de deux points de pourcentage de la probabilité de migration des jeunes filles à la suite d’une grave sécheresse. L’article met en évidence les différentes réponses migratoires pour les hommes et les femmes induites par les sécheresses. Il contribue ainsi à la littérature portant sur les institutions matrimoniales dans les pays pauvres et sur la manière dont elles orientent la migration, qui est une décision familiale. L’article ouvre donc des perspectives intéressantes pour approfondir les liens entre les chocs climatiques, les institutions matrimoniales et les politiques visant à limiter les impacts du changement climatique dans les pays pauvres.
(1) E.g., Corno, L., N. Hildebrandt et A. Voena (2020) Age of marriage, weather shocks, and the direction of marriage payments, Econometrica 88(3), 879–915. Hoogeveen, J., B. van der Klaauw et G. van Lomwel (2011) On the timing of marriage, cattle and shocks, Economic Development and Cultural Change 60(1), 121–154
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Références
Titre original de l’article : Gendered migration responses to drought in Malawi
A paraître dans : Journal of Demographic Economics (2021)
Disponible via : https://doi.org/10.1017/dem.2021.8
Crédit visuel : JULIAN LOTT – Shutterstock
* Membre PSE