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Manon François*

Le comportement des multinationales échappant à leur juste part d’impôt a, ces dix dernières années, fait l’objet d’une attention croissante, et a consolidé les arguments en faveur d’une réforme de la fiscalité internationale des entreprises. En 2016, les États-Unis ont lancé un débat pour déterminer s’il valait mieux maintenir un système fiscal reposant sur le principe d’origine, c’est-à-dire un prélèvement en fonction du lieu de production des marchandises, ou plutôt faire évoluer le système fiscal actuel vers un principe de destination fondé sur un prélèvement en fonction du lieu de consommation (les entreprises sont imposées là où elles vendent leurs produits). En supposant que les consommateurs sont immobiles, un système fondé sur le principe de destination réduirait les possibilités d’optimisation fiscale (également appelée « transfert de bénéfices »). Toutefois, à l’heure actuelle, le système fiscal mondial est réglé sur le principe d’origine et, de ce fait, incite les entreprises à déclarer leurs bénéfices vers des pays pratiquant des taux d’imposition plus faibles, donnant ainsi prétexte au moins disant fiscal entre les États.

Dans cet article, Manon François étudie l’alternative entre un système fiscal fondé sur le principe d’origine et un système reposant sur le principe de destination dans le cas de pays confrontés à des multinationales qui transfèrent leurs bénéfices entre différentes juridictions fiscales en vue de réduire le montant de leurs impôts. Son modèle présente plusieurs niveaux de décisions qui s’offrent aux entreprises et gouvernements. Les entreprises décident de l’endroit où elles déclarent leurs bénéfices afin de maximiser ces derniers après impôt. Les pays déterminent leur taux d’imposition et leur niveau de contrôle de l’optimisation fiscale, à savoir l’effort qu’ils sont prêts à fournir pour empêcher les entreprises de transférer leurs bénéfices vers des pays à la fiscalité avantageuse. Les pays choisissent également leur assiette fiscale afin de maximiser leurs recettes. L’auteur analyse en premier lieu l’impact du choix de l’assiette sur la concurrence fiscale entre les pays. Dans le cadre d’un système fondé sur le principe d’origine, les entreprises ne cessent de déplacer leurs bénéfices vers des pays à la fiscalité plus avantageuse et les pays de réduire leur taux d’imposition pour concurrencer leurs adversaires et attirer les bénéfices. On assiste alors à un mouvement de moins disant fiscal, sous l’effet duquel les taux d’imposition diminuent de façon importante, et à une possible réduction du montant des impôts perçus. Si un pays décide unilatéralement de définir son système d’imposition sur un principe de destination, il captera les bénéfices à la manière d’un paradis fiscal, même si son taux d’imposition est élevé, ce qui donne lieu à certaines distorsions. Ce n’est que si l’ensemble des pays ont recours à une fiscalité fondée sur le principe de destination qu’il sera possible de mettre un terme à la concurrence fiscale. Par conséquent, le modèle montre que, pour maximiser les recettes fiscales, les pays dont la fiscalité est basée sur le principe d’origine doivent déployer d’énormes efforts pour empêcher les entreprises de déplacer leurs bénéfices. À l’inverse, les pays qui adoptent le second système de fiscalité permettent aux entreprises de déplacer leurs bénéfices sans aucune contrainte.
Sur la base de ce constat, il convient de s’interroger : dans quelles conditions les pays doivent-ils arbitrer en faveur d’une imposition basée sur le principe d’origine plutôt qu’en faveur d’un système fondé sur le principe de destination ? De façon générale, l’auteur montre que si les entreprises génèrent d’importants revenus, tous les pays devraient choisir de taxer les entreprises sur une base reposant sur le principe d’origine. Dans ce cas, les pays peuvent fixer un taux d’imposition élevé sans pour autant dissuader les entreprises de déclarer leurs bénéfices, puisque tout transfert de bénéfices est sévèrement puni. Dans le cas contraire, tous les pays ont intérêt à choisir une imposition basée sur le principe de destination. Par ailleurs, il faut noter que la coexistence des deux types de fiscalité n’est pas soutenable. En effet, un pays utilisant un principe d’origine serait confronté à des entreprises déclarant des bénéfices faibles ou négatifs car ces dernières auraient intérêt à déclarer leurs profits dans le pays utilisant un principe de destination.

D’importantes implications ressortent de ces conclusions. Premièrement, cela suggère que le système fiscal international actuel pourrait être le fruit d’un jeu non coopératif auquel participent les pays riches. Si l’objectif des pays est effectivement de maximiser leurs recettes fiscales, ils devraient s’en tenir à leur fiscalité actuelle. Deuxièmement, l’étude montre que si un pays décidait de baser son imposition sur le principe de destination, il pourrait entraîner d’autres pays dans son sillage, faisant ainsi advenir un système fiscal à l’équilibre au niveau international qui empêcherait toute optimisation des profits. Avec le Tax Cuts and Jobs Act de 2017, les États-Unis ont déjà fait un pas dans cette direction, mais la fiscalité américaine n’a pas encore parachevé sa transformation. Qui osera faire le premier pas vers une fiscalité fondée sur le principe de destination ?

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Références

Titre original de l’article : Profit Shifting and Equilibrium Principles of International Taxation

Publié dans : PSE working paper n°2021-43

Disponible via : https://hal-pse.archives-ouvertes.fr/halshs-03265056

Ce travail a reçu la récompense suivante : Best paper 2021, Workshop on Industrial and Public Economics

* Doctorante PSE – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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Cette synthèse a été publiée dans le cadre d’un numéro « 5 articles… en 5 minutes ! » spécial Doctorants.

Crédits visuel : Shutterstock, Alexander Steamaze