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Marion Leroutier*

Afin de lutter contre le changement climatique, il est indispensable de réduire fortement nos émissions de gaz à effet de serre. La tarification du carbone, sous la forme d’une taxe carbone ou d’un marché d’échanges de droits d’émissions, est considérée par les économistes comme le moyen le plus efficace de réduire les émissions. Cependant, à ce jour l’impact des instruments de tarification carbone existants n’est pas clairement établi. En 2013, le Royaume-Uni a introduit une taxe carbone dans le secteur de l’électricité, intitulée le Carbon Price Support (CPS). Son taux est passé de 5,90 € par tonne de CO2 en 2013 à 26 € en 2017. Le secteur de l’électricité britannique a depuis lors été marqué par de considérables transformations : entre 2012 et 2017, la part du charbon dans la production d’électricité est passée de 40 % à 7 %, tandis que les émissions du secteur électrique ont diminué de 57 %. Cette décarbonation rapide a fait l’objet d’une importante couverture médiatique. Cependant, on ignore encore dans quelle mesure le CPS y a contribué.

Dans cet article, Marion Leroutier évalue l’impact du CPS sur les émissions du secteur électrique britannique. L’autrice s’appuie sur la méthode dite « de contrôle synthétique » (1) et compare l’évolution des émissions du secteur électrique britannique à celle d’une moyenne pondérée de pays européens aux caractéristiques similaires, qui forment le « Royaume-Uni synthétique ». Sur la période considérée, les pays en question sont soumis aux mêmes politiques environnementales déterminées au niveau européen que le Royaume-Uni, en particulier le marché du carbone de l’UE et la réglementation sur les émissions industrielles. Sous réserve qu’aucune autre politique spécifique au Royaume-Uni n’ait affecté les émissions du secteur de l’électricité à la période d’intérêt, la méthode appliquée permet d’isoler l’impact du CPS. L’autrice estime que le CPS a contribué à réduire les émissions de CO2 de 20,5 % à 26 % par an en moyenne entre 2013 et 2017. Cette fourchette dépend de deux facteurs : d’une part, elle dépend de l’impact supposé de trois autres politiques spécifiques au Royaume-Uni – une subvention encourageant la conversion à la biomasse des centrales à charbon, des mesures incitatives en faveur de l’investissement dans les énergies renouvelables et un marché de capacité. D’autre part, elle dépend de l’intensité du phénomène de « fuite carbone » dans les pays formant le Royaume-Uni synthétique, c’est-à-dire de l’ampleur de l’augmentation éventuelle de ces émissions de ces pays du fait de la mise en place du CPS au Royaume-Uni. La borne supérieure suppose que la conversion à la biomasse est une conséquence du CPS, et que les autres politiques et la fuite carbone sont négligeables sur la période 2013-2017. La borne inférieure estime séparément l’effet de la conversion à la biomasse et celui, relativement faible, des autres politiques et des effets induits sur le commerce et les prix. Le CPS a opéré à travers trois mécanismes : premièrement, les centrales britanniques qui risquaient de fermer en raison des réglementations européennes relatives à la qualité de l’air ont eu une probabilité plus élevée de fermer effectivement ; deuxièmement, d’autres centrales à charbon ont cessé leur activité ; troisièmement, les centrales électriques restantes ont diminué leurs émissions, vraisemblablement en substituant le gaz au charbon.

En conclusion, le CPS a joué un rôle essentiel dans la décarbonation rapide du secteur de l’électricité au Royaume-Uni. Trois facteurs ont permis une diminution importante des émissions tout en limitant les fuites de carbone : d’abord, le Royaume-Uni présentait un potentiel de substitution du charbon par le gaz relativement élevé ; ensuite, les fuites de carbone ont été limitées du fait d’une faible interconnexion du Royaume-Uni au continent ; enfin, le contexte général jouait en défaveur de nouveaux investissements dans la production d’électricité très carbonée. Ces facteurs doivent être gardés en tête lorsque l’on songe à la possibilité de généraliser ces résultats. Plusieurs pays partagent ces critères et pourraient être de bons candidats pour reproduire l’expérience britannique : de nombreux pays européens disposent d’une capacité de gaz inutilisée suffisante pour éliminer le charbon en lui substituant du gaz (2) ; la tarification régionale du carbone peut être une solution pour éviter les fuites de carbone dans les pays fortement interconnectés ; et des réglementations environnementales de plus en plus strictes rendent le charbon moins compétitif dans plusieurs autres pays, de sorte qu’un signal prix modéré peut suffire à évincer les centrales les plus émettrices.

(1) Abadie, A., Diamond, A., & Hainmueller, J. (2010). Synthetic Control Methods for Comparative Case Studies : Estimating the Effect of California’s Tobacco Control Program. Journal of the American Statistical Association, 105(490), 493–505. doi : 10.1198/jasa.2009.ap08746
(2) Wilson, I. A. G., & Staffell, I. (2018). Rapid fuel switching from coal to natural gas through effective carbon pricing. Nature Energy, 3(5), 365–372. doi : 10.1038/s41560-018-0109-0

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Références

Titre original de l’article : Carbon Pricing and Power Sector Decarbonisation : Evidence from the UK

Publié dans : PSE working paper n°2021-41

Disponible via : https://hal-pse.archives-ouvertes.fr/halshs-03265636

Ce travail a reçu la récompense suivante : 2019 Young Economist best paper Award from the French Association of Environmental and Resource Economists (FAERE)

* Doctorante PSE – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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Cette synthèse a été publiée dans le cadre d’un numéro « 5 articles… en 5 minutes ! » spécial Doctorants.

Crédits visuel : Shutterstock, Bakhtiar Zein