Stéphane Gauthier*
- Cet article a été initialement publié dans l’édition d’octobre 2021 des 5 articles…en 5 minutes.
Il est difficile de dire dans quelle mesure nous pouvons nous appuyer sur les courbes de croissance qui figurent dans nos carnets de santé pour apprécier la croissance des hommes du passé. Si l’incertitude demeure, c’est du fait de la rareté des sources qui suivent un grand nombre d’enfants sur une longue période avant le milieu du 20e siècle. On a parfois calculé pour chaque âge des moyennes sur des individus différents, mais cette méthode est considérée comme peu fiable parce qu’elle risque de masquer les changements de régime de la croissance individuelle. Les grandes enquêtes conduisant à un panel portant sur des données individuelles d’anthropométrie ne remontent pas au-delà de l’immédiat Après-guerre. Pour les siècles antérieurs, la courbe de croissance que publia Buffon dans son Histoire Naturelle est considérée comme la première du genre : elle ne porte que sur un seul individu, le fils de Montbeillard mesuré et pesé chaque semestre depuis sa naissance en 1759 jusqu’en 1777. Et les travaux de Quetelet suivant des orphelins de Bruxelles un siècle plus tard, qui n’auraient pas connu de pic de croissance durant leur adolescence, sont encore aujourd’hui une référence pour des populations historiques.
Dans cet article, Stéphane Gauthier observe que les tailles reportées pour le même homme dans deux sources classiques de données militaires, le tableau de recrutement cantonal et les fiches matricule, sont souvent différentes. Il donne une série d’arguments qui suggèrent que l’appariement de ces deux sources permet de construire un panel individuel intégrant une grande partie des hommes depuis le début du 19e siècle en France. Le tableau de recrutement consigne des informations relevées au moment où les hommes sont examinés par le conseil de révision pour décider de l’aptitude au service militaire. Cet examen avait lieu tous les ans, habituellement entre février et avril, et concernait tous les hommes ayant atteint 20 ans durant l’année précédente. La fiche matricule est quant à elle une sorte de carte d’identité individuelle militaire. Elle était vraisemblablement élaborée dans les bureaux de recrutement quelques mois après la tenue du conseil, dans les premiers jours d’octobre, juste avant l’incorporation. En principe, elle ne concernait que ceux qui avaient été jugés bons pour le service par le conseil de révision. Cependant, on trouve des fiches pour la plupart des hommes nés à la fin du 19e siècle parce qu’ils ont été réexaminés plusieurs fois durant la Première guerre et ont finalement été souvent incorporés. Pour ces cohortes, les informations contenues dans le tableau de recrutement et les fiches matricule permettent ainsi de construire un panel quasi-exhaustif. Une illustration sur le cas particulier des hommes nés en Corrèze en 1887 et examinés par le conseil de révision en 1908 permet d’estimer une croissance de la taille entre 0.3 et 0.4 cm sur un an depuis la tenue du conseil. Or, dans les tables de croissance de nos carnets de santé, la plupart des hommes ont déjà atteint leur taille adulte à 20 ans. Les résultats obtenus par Stéphane Gauthier confortent ainsi les théories de la norme de réaction pour la maturation selon lesquelles, dans les économies développées, les hommes ont une taille adulte plus élevée et ils l’atteignent plus précocement. L’exemple des Corréziens montre aussi que la distribution de la croissance de la taille est loin d’être uniforme. On observe un rattrapage tardif des plus petits : les hommes qui, au moment du conseil de révision, ont une taille supérieure à la taille moyenne (163cm) dans cette cohorte, ne grandissent quasiment plus. La croissance tardive des français du passé réduit ainsi les inégalités dans la distribution de la taille finale. Elle implique aussi une correction substantielle des courbes actuelles lorsque l’on s’intéresse aux Français du siècle passé approchant de leur maturité.
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Références
Titre original de l’article : Late height growth from historical individual-level panel data
Publié dans : PSE working paper n°2021-06
Disponible via : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03117083/
Crédit visuel : Dizfoto – Shutterstock
* Chercheur PSE